Petit Carnet
À Monique Briod
1
Buvant dans cette tasse sur laquelle, dans une langue inconnue, sont peut-être inscrits des signes de bénédiction et de bonheur, je la tiens dans cette main, pleine de lignes à son tour que je ne saurais expliquer. Sont-elles d'accord ces deux écritures, et puisqu'elles sont seules entre elles et secrètes sous la coupole de mon regard, vont-elles dialoguer à leur façon et se concilier, ces deux textes millénaires qu'un geste de buveur rapproche.
2
Comme la maison est calme; mais là-haut, dans la blanche chapelle, d'où vient ce surçoit de silence? De tous ceux qui depuis plus d'un siècle y sont entrés, pour ne pas être dehors et qui, en s'agenouillant, se sont effrayés de leur bruit? De cet argent qui en tombant dans le tronc a perdu sa voix et qui n'aura qu'un petit bruissement de grillon quand il sera recueuilli? Onu de cette douce absence de Sainte-Anne, patronne du lieu, qui n'ose pas approcher pour ne pas abîmer cette pure distance que suppose un appel?
3
«Farfallettina»
Tout agitée elle arrive vers la lampe et son vertige lui donne un dernier répit avant d'être brûlée. Elle s'est abattue sur le tapis vert de la table et sur ce fond avantageux s'étale pour un instant le luxe de son inconcevable splendeur. On dirait, en trop petit, une dame qui avait une panne en se rendant au Théâtre. Elle n'y arrivera point. Et d'ailleurs où est le Théâtre pour de si frêles spectateurs? Ses ailes dont on aperçoit les minuscules baguettes d'or remuent comme un double éventail devant aucune figure; et entre elles ce corps mince, bilboquet où sont retombés deux yeux en boule d'émeraude. C'est en toi, ma chère, que Dieu s'est épuisé. Il te lance à la flamme pour regagner un peu de sa force. (Comme un enfant qui casse sa tire-lire.)
Aus: Poèmes et Dédicaces (1920-1926)